Dans La Bohème, roman autobiographique, François Moreau revient sur ses jeunes années passées à jouer les aventuriers d’une époque révolue chantée par Aznavour. Parti en Europe à bord d’un rafiot douteux, le héros vit au petit bonheur la chance à Londres, Bruxelles, Malaga, Tanger et surtout, à Paris. C’est là qu’il commence une carrière de journaliste avant d’enchaîner des petits boulots qui lui permettent de vivre au jour le jour.
Je n’ai pas été convaincue par ce roman qui se lit pourtant avec un certain plaisir, du moins au départ. On y retrouve un imaginaire exploité par de grands auteurs, ce qui ne facilitait pas la tâche de François Moreau qui devait forcément faire preuve d’originalité, risquant sinon d’ennuyer son lecteur. Exercice rendu plus difficile encore par le choix du récit autobiographique, avec ses menaces de sentimentalisme et d’imagination bridée.
Dans ce cas, on obtient à mon avis un roman sympathique mais moyennement original. On peut grossièrement scinder ce livre en deux parties : la première raconte les débuts de la bohème, avec les moments de débrouillardise, de soûlerie, de douce folie et de vie croquée à pleines dents ; la deuxième est marquée par le premier amour de François, avec son lot de torture, de passion, de jalousie et de désespoir. C’est l’image parfaite que je me fais de la bohème et j’ai trouvé le voyage assez agréable, d’autant plus que le style alerte de l’auteur ajoute à la vivacité débordante du héros.
Plusieurs éléments m’ont déplu malgré tout (si l’on oublie le témoignage toujours intéressant à lire mais assez traditionnel sur le fond). On retrouve des élans de virilité qui ne sont pas sans rappeler Hemingway, dont j’avais dévoré Paris est une fête. Si le sujet s’y prête sans doute, la forme m’a dérangée. A l’exception du premier amour, les personnages féminins sont systématiquement dépeints sous un angle peu flatteur. Avec mépris, le narrateur, qui se sait beau gosse, s’imagine que toutes les femmes qui gravitent autour de lui éprouvent un besoin immédiat de satisfaire leur appétit sexuel. Une fois prises, les femmes ne sont que des « emmerdeuses » (p117) dont il faut se débarrasser au plus vite. Le mieux (et là, j’ai bien ri !), ce sont les moments où, aguiché, le narrateur oblige ces dames et cherche à se justifier en disant que, évidemment, il a été piégé, il n’a rien pu faire (c’est là une triste illustration des vertus masculines ou de l’absence de libre-arbitre et, des féministes ou des défenseurs de la cause masculine, je ne sais lesquels devraient le plus s’offenser).
Quelques extraits pour illustrer mes propos – attention, collection Harlequin en vue : « Doucement, je passai une main sous sa tête, que je poussai vers la cause de sa démence » (merci à l’auteur pour ce beau moment de franche hilarité !). En dehors de leur lubricité et de leur vulgarité – et de quelques scènes explicites, les femmes ne suscitent visiblement pas tellement l’intérêt du narrateur : « Elle se leva. Bien en chair, certes, une grosse tête, des yeux bleus légèrement proéminents, aussi grande que moi, chaleureuse, sans complexe. Une brave mère de famille de 35 à 40 ans, sans plus. » Cela dit la brave mère de famille est la seule à se rebeller d’après un François peu honteux de sa tentative de viol. Et pour finir, un extrait qui résumera parfaitement la chose : « Elle avait trente-cinq ans, un petit ami de cinquante, un corps épaissi déjà, strictement rien de sexy. Mais enfin quoi, c’était une femme. Son abandon, dû à la fatigue de la journée, acheva de me mettre en appétit. » (p134) Pour tout vous dire, le narrateur m’est rapidement devenu antipathique, ce qui a ôté toute son importance au récit de ses malheurs amoureux. Car ce qui pouvait lui arriver, moi aussi je m’en moquais bien.
Enfin, j’ai trouvé qu’une fois le charme de l’arrivée en Europe passé, la narration s’essouffle et suit un cycle tout tracé : recherche de petit boulot, petit salaire, tournée des bars, une fille de temps en temps, des soucis d’argent à n’en plus finir. Dans la deuxième partie, le schéma est plutôt un « je t’aime moi non plus », relativement monotone lui aussi.
Un roman à recommander aux nostalgiques ou aux admirateurs inconditionnels de la bohème. Pour ma part, j’ai trouvé pour la première fois ce mode de vie assez absurde. On envie facilement au narrateur son insouciance et ses voyages. Mais malgré son joli minois, son audace et son choix de vivre loin des sentiers battus, il est plutôt à plaindre avec ses fins de mois difficiles, ses arriérés de loyer, ses plats de nouille et ses bouteilles de rouge. Si c’est ça la bohème, je m’en passerais volontiers.
Pour que le mythe ne s’effondre pas totalement, je lirais bien Orwell et Dans la Dèche à Paris et à Londres, dans ma PAL depuis… depuis.
Troisième lecture pour la présélection du Prix des Cinq Continents.
189 p
Francois Moreau, La Bohème, 2009
Commentaires
Écrit par : rachel | 07/05/2009
Écrit par : Lilly | 07/05/2009
Un peu de lenteur certainement dans ce livre…
Écrit par : Lilibook | 07/05/2009
Écrit par : Nanne | 09/05/2009
Écrit par : Karine 🙂 | 10/05/2009
@ Lilly : ah ! le rouge et les plats de nouilles dans les chambres de bonne !
@ Lilibook : je ne sais pas si on peut parler de lenteur mais une fois que le narrateur est fixé à Paris, je trouve que l’histoire devient moins intéressante et manque de rebondissements (sauf la fin mais j’avais déjà décroché).
@ Nanne : mais c’est très bien écrit : « Doucement, je passai une main sous sa tête, que je poussai vers la cause de sa démence »… pffff :p (non par contre plus sérieusement la plume est assez alerte et plutôt agréable la plupart du temps, même si je doute qu’on puisse la comparer à celle d’Orwell… mais évidemment ce n’est pas facile).
@ Karine:) : je suis méchante en parlant de franche hilarité mais vraiment… !!! Je suis contente de t’avoir fait rire en choisissant cet extrait !
Écrit par : Lou | 11/05/2009
Écrit par : rachel | 11/05/2009
Écrit par : Lou | 11/05/2009
et s’il ne les supporte pas alors il va dans le sens de ton jugement (un egocentrique)…et s’il ne dit rien…alors ce n’etait que de la provoc ou simplement qu’il sait comment il etait…mais lala c de l’ordre de la psychologie (pas mon domaine)…..;o)…
bref tu ne donnes encore moins envie de le lire lala…;o)
Écrit par : rachel | 11/05/2009
Écrit par : liliba | 11/05/2009
@ Liliba : ouais et puis même à 20 ans on peut peut-être trouver un peu mieux à faire que d’écumer les bars miteux ^^
Écrit par : Lou | 12/05/2009
Écrit par : Hambre | 18/05/2009
Écrit par : Lou | 18/05/2009
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