
Tout ce que j’aimais est d’abord l’histoire de deux couples : le narrateur Leo et son épouse Erica d’un côté ; de l’autre, Bill et Violet. Leo, universitaire spécialiste d’histoire de l’Art, rencontre le peintre Bill au début du roman. C’est là le départ d’une longue amitié qui va lier à jamais les deux hommes et leurs familles ; ils partageront les mêmes joies puis traverseront ensemble des épreuves insurmontables qui laisseront tous les protagonistes meurtris.
Attention [Spoiler]
[Après des années passées à vivre dans le même immeuble, à se rendre aux mêmes dîners, à abreuver leur travail de contributions réciproques et d’échanges passionnés, un premier drame survient avec la mort accidentelle de Matt, le fils de Leo et d’Erica âgé de onze ans. Entre l’époux et la femme s’ouvre une brèche qui ne se refermera pas. Ce bouleversement pousse finalement Erica à s’éloigner de son mari en acceptant un poste en Californie. Laissé seul à New York, Leo est soutenu au quotidien par Bill et Violet. Le couple est particulièrement soudé et semble à l’abri des aléas de la vie. C’est sans compter sur le fils que Bill a eu lors d’un premier mariage, Mark, dont le comportement devient de plus en plus étrange. Mark l’enjôleur est-il un adolescent paumé ? Un menteur invétéré ? Un drogué ? Un fou ? Le décès brutal de Bill laisse Violet et « l’oncle Leo » démêler eux-mêmes l’énigme que représente le jeune homme. Cherchant à aider cet adolescent perturbé, les deux amis en viennent à s’interroger sur son implication dans la mort d’un jeune garçon retrouvé dans une valise découpé en morceaux et jeté dans l’Hudson. Le roman se termine sur une course poursuite entre Leo et Mark et le rapprochement inévitable mais bref de Leo et Violet]
Difficile de résumer en quelques mots ce roman dense de 450 pages, foisonnant de personnages aux psychologies complexes. Tout ce que j’aimais porte d’abord un œil critique sur la société de consommation actuelle.
Fascinant portrait d’un New York où les artistes se connaissent tous, où chacun choisit son camp et où réputation et carrière se font et se défont à coups d’articles de presse et selon la stabilité ou l’instabilité économique du moment, le roman adresse de multiples problèmes sur lesquels s’interroge beaucoup notre société. Par le biais de la thèse puis d’un livre de Violet, Siri Hustvedt évoque l’hystérie et les désordres alimentaires, ici présentés comme les maux propres à deux époques différentes, la réponse collective instinctivement apportée à un environnement extérieur agressif.
Mark incarne l’adolescent perturbé par excellence (et fait par ailleurs penser au film Thirteen). Son comportement asocial, sa propension à mentir, son attitude de caméléon suggèrent l’instabilité mentale et la folie. Il est d’une certaine façon le symbole du danger qui nous guette à tout moment dans une société où chaque enfant a été élevé en apprenant à se méfier des autres. « Ne suis pas le monsieur, même s’il t’offre des bonbons. Ne rentre pas seul après telle heure. On ne sait jamais. » Mark est ce monstre qui plane inconsciemment au dessus de nos têtes, le fou dangereux caché derrière un visage d’ange.
Enfin, un artiste important au cœur du roman : Teddy Giles est symbolique à plusieurs raisons. Lui aussi est un croque-mitaine, mais un croque-mitaine qui hurle son sadisme face à des foules enthousiastes qui en redemandent, criant au génie et prenant au second degré ce qui devrait l’être en fait au premier. Giles est un nihiliste à sa manière. Il pose aussi pleinement la question de l’Art et de ses limites. Si je déclare qu’un tas de corps ou une œuvre détruite et souillée sont de véritables œuvres d’art, doit-on considérer qu’il suffit de déclarer qu’il y a Art pour qu’Art il y ait ? Giles repousse les limites de l’acceptable en intégrant l’horreur à son œuvre. D’où tout un questionnement sur nos sociétés contemporaines où la violence joue un rôle de premier plan. Et l’interrogation suivante : faut-il choquer pour transmettre un message ? Ou, comme le dit Giles, pour parvenir à provoquer le petit frisson indispensable ?
Tout ce que j’aimais est un excellent roman. Les personnages sont développés avec précision et une finesse exceptionnelles. Leurs doutes, leurs interrogations tout humaines sont mis en avant avec simplicité et ce que l’on pourrait appeler un sens aigu de la vérité. Car ce roman sonne terriblement vrai. Malgré leur histoire peu commune, ces personnages sont non seulement crédibles, mais ils portent aussi en eux une vérité, une sincérité qui nous donne le sentiment de lire le vrai journal d’un certain Leo. On vit, on pleure (et j’ai pleuré !) avec eux. Impossible de les quitter une fois le livre refermé, car ils vous hantent encore après avec leurs visages aux traits étonnamment bien définis. Enfin, Tout ce que j’aimais est un vrai petit chef d’œuvre littéraire : le style d’Hustvedt aussi bien que son érudition utilisée à bon escient en font un petit bijoux qui touche à la perfection.
Alors que les choses soient dites : je vais mettre un point d’honneur à découvrir les autres écrits de cet auteur. Et dans quelque temps, je me replongerai avec plaisir dans un roman du mari de Siri Hustvedt.
455 p
Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais, 2003
ENCORE UN GRAND MERCI A PAULINE, qui m’a offert ce livre lors de mon tout premier swap cet été.
L’avis d’Anne et de Florinette.
Commentaires
J’ai tout comme toi beaucoup aimé ce roman, mais il m’était impossible de résumer ou de traduire en mots mes sentiments à la fin de la lecture. Tu t’en sors bien..:)On peut en tirer de multiples messages en effet. J’ai lu et relu ce livre et c’est un de mes préférés, à offrir à des personnes choisies! Siri Hustvedt est vraiment un grand écrivain, et si on sent l’influence de son célèbre mari, elle le dépasse, par une intuition qui lui est propre.. « Les yeux bandés » et « l’envoutement de Lily Dahl » sont à lire aussi, bien que différents (le second a un petit coté fantastique).
Merci pour cet article 🙂
Écrit par : kroustik | 28/10/2007
Écrit par : Karine | 28/10/2007
Écrit par : Bellesahi | 28/10/2007
Je dois dire que malgré ta critique enthousiaste, là non plus je ne penche pas pour l’envie soudaine de la découvrir.
Mais bon, pourquoi pas, au final, s’il me tombe sous la main ? 😉
Écrit par : Emeraude | 28/10/2007
http://insatiable-lectrice.over-blog.com/article-7188801.html
Écrit par : Anne | 28/10/2007
http://insatiable-lectrice.over-blog.com/article-7188801.html
Écrit par : Anne | 28/10/2007
Écrit par : rose | 28/10/2007
Écrit par : beatrix | 28/10/2007
Ta critique fine et enthousiaste m’incite à découvrir ce livre que j’ajoute à ma PAA (Pile A Acheter).
bises,
Essel
Écrit par : Essel | 28/10/2007
Écrit par : Tamara | 28/10/2007
Écrit par : lamousmé | 28/10/2007
Écrit par : Caro[line] | 29/10/2007
Écrit par : Florinette | 29/10/2007
@ Karine : merci pour ton commentaire… je suis d’accord avec toi, les descriptions apportent beaucoup à chaque personnage. Mais les thèmes sont si nombreux que je n’ai traité que quelques aspects !
@ BelleSahi : ravie de voir que tu as bien aimé ma note !
@ Emeraude : c’est vraiment un excellent roman, ce qu’on peut appeler de la grande littérature. Je serais contente d’avoir ton avis si jamais tu finis par croiser Siri Hustvedt :o)
@ Anne : ton commentaire m’a fait me souvenir de pistes que j’avais oublié d’explorer, merci !
@ Rose : je vais maintenant faire le chemin inverse, en m’attendant à de belles surprises…
@ Beatrix, Essel, Tamara et Lamousmé : ravie de vous avoir tentées :o)
@ Caro[line] : peut-être est-il temps de succomber ?;o) Je pense que je l’achèterai sans doute pour un prochain dîner livres échanges !
@ Florinette : Paul Auster a un véritable talent de conteur. Siri Husvedt y ajoute une autre dimension de réalisme, en donnant par la même occasion plus de relief à ses personnages ! Ou comment passer de fiction à réalité.
Écrit par : Lou | 29/10/2007
Écrit par : Sibylline | 06/11/2007
Écrit par : Lou | 11/11/2007
Écrit par : ameleia | 01/11/2008
Je t’ai dédié un petit article chez moi
http://ameleia.over-blog.com/
a
Écrit par : ameleia | 01/11/2008
Merci infiniment pour tes compliments et encore une fois ton billet qui me touchent beaucoup !
A bientôt sur nos blogs :o)
Écrit par : Lou | 02/11/2008
Entre parenthèses il faudra que tu me donnes les recettes, moi qui n’aie ouvert mon blog que depuis deux mois…
Je reçois avec honneur tes remerciements ; mais l’hommage rendu est mérité crois-moi.
bien à toi.
a.
Écrit par : ameleia | 02/11/2008
Quant au fait de voir des lecteurs revenir… j’ai mis un compteur au début mais je n’y prête pas trop attention (en plus ce n’est pas fiable et ne correspond pas à ce qu’indique hautetfort). Par contre ce qui me fait très plaisir c’est d’échanger régulièrement avec un petit nombre de lecteurs que je commence à bien connaître, même virtuellement. C’est un vrai bonheur, mais c’est vrai qu’il faut quelques mois pour commencer à connaître des blogueurs, découvrir ceux qui ont des goûts en commun avec nous ou dont le ton nous séduit particulièrement. C’est en tout cas une expérience dont je ne me lasse pas (pour preuve le swap organisé avec Cryssilda, que j’ai rencontrée pour l’occasion) !
A bientôt :o)
Écrit par : Lou | 04/11/2008
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