Sayaka Murata, Konbini

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Repéré il y a quelque temps sur les blogs, Konbini est une première bonne surprise dans le cadre de mes lectures pour ce mois au Japon.

Keiko Furukura est employée dans un konbini, supérette japonaise. A 36 ans, sans être mariée comme c’est son cas, cela équivaut à être tout en bas de l’échelle sociale. Pourquoi n’a-t-elle pas de vrai travail ? Pourquoi ce temps partiel (de 5 jours tout de même) alors qu’habituellement ce sont les étudiants, les freeters (jeunes en situation de précarité) et les femmes mariées ayant besoin d’un revenu d’appoint qui font ce genre de travail ? A-t-elle déjà eu un petit ami ? Autant de questions que Keiko tente d’esquiver en prétendant souffrir de soucis de santé.

Si Keiko a choisi de continuer à travailler dans le même konbini après ses études, c’est parce qu’elle a conscience de ne pas avoir le comportement que la société attend d’elle, sans savoir pourquoi. Petite déjà, elle avait suscité l’effroi en proposant de cuisiner un oiseau mort dans le parc – oiseau que toutes les petites filles pleuraient – avant d’assommer avec une pelle un camarade de classe pris dans une bagarre quelques années plus tard, quelqu’un ayant dit qu’il fallait séparer les deux opposants. Ses réactions lui semblent rationnelles et justifiées et l’étonnement et la gêne qu’elle génèrent la laissent perplexe.

Adulte, elle constate que certaines de ses attitudes continuent d’étonner et préfère ainsi la sécurité de la supérette, régie par des codes vestimentaires et de langage; Keiko calque également son style vestimentaire personnel, ses intonations et certaines de ses réactions sur ceux de ses collègues, pour entrer dans le moule et paraître normale. Vivre semble être un travail de tous les jours.

Quelques extraits représentatifs de ce texte :

« Tout ce qui concerne la façon de parler, en particulier, je l’apprends par imitation. Mon langage actuel est un mélange d’Izumi et de Sugehara » (p 26).

 » (…) Je m’inspire de son look. Vu de l’extérieur, j’ai tout de l’humain normal, portant un sac à la mode et s’exprimant selon les règles de la politesse et de la bienséance » (p 28).

 » Ah, j’ai bien joué mon rôle d’ « humain“, me dis-je en observant les réactions de mes deux camarades. Combien de fois ai-je éprouvé ce même soulagement entre les murs de la supérette! » (P 29)

Jusqu’au jour où elle propose à Shiraha, autre trentenaire en marge de la société, un contrat tacite : elle l’hébergera chez elle et le nourrira, à condition de pouvoir prétendre avoir un conjoint et ainsi faire cesser les questions. Comme le dit Shiraha, cynique et opportuniste :

 » Dans ce monde régi par la normalité, tout intrus se voit discrètement éliminé. Tout être non conforme doit être écarté » (p 67)

Leur relation n’a rien de romantique, ni même d’amical. Il la trouve trop âgée, repoussante, méprise son travail dans un konbini et décide de prétendre être homme au foyer et pour cela, compte bien la forcer à obtenir un emploi stable. Keiko ne le trouve ni beau ni intéressant mais est soulagée de pouvoir prétendre avoir quelqu’un dans sa vie pour justifier son temps partiel et se rapprocher de la norme. Car plus le récit avance, plus on lui fait comprendre qu’elle a râté sa vie. Ainsi, quand Keiko énonce son idée d’une vie partagée, elle déclare prosaïquement à Shiraha:

 » Je te fournirai ta pâtée. (…) C’est la première fois que j’héberge un être vivant, j’ai l’impression d’avoir un animal domestique. » (P 86)

Un récit court et percutant sur la différence au sein de la société nippone – sujet qui trouve aussi un écho dans nos sociétés occidentales. Le portrait de Keiko est subtil, tandis que l’évolution des réactions de ses proches et collègues ne manque pas de cynisme. Un roman que j’ai dévoré avec beaucoup d’intérêt.

Au passage, j’ai découvert quelques « spécialités » culinaires propres à l’univers des supérettes : fromage à la rogue de colin, onigiri à la bonite séchée, pogo (saucisse sur bâtonnet), cidre chocolat-melon… et le très dépaysant « sandwich thon mayo », produit phare du magasin !

Lu pour le rendez-vous du mois consacré à la ville. Le konbini est situé dans un quartier d’affaires, en face d’une gare, dans un environnement très urbain.

124 p

Sayaka Murata, Konbini, 2016 (2018 en VF)

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Commentaires

et bin tout un chouette RDV…court et precis…cela donne envie de le connaitre, ce recit…;)

Écrit par : rachel | 02/04/2018

Repéré en librairie il y a quelques temps, il me tente de plus en plus.

Écrit par : Hilde | 02/04/2018

@ Rachel : je le recommande vivement, j’ai vraiment trouvé ce texte très intéressant !

@ Hilde : c’est une très bonne surprise !

Écrit par : Lou | 02/04/2018

et bin vraiment je le note…;)

Écrit par : rachel | 02/04/2018

@ Rachel : ravie de t’avoir tentée avec ce titre !

Écrit par : Lou | 02/04/2018

A noter donc ! Au vu de mon programme, sans doute pour la prochaine saison ;o)

Écrit par : Nahe | 04/04/2018

@ Nahe : c’est pareil pour moi, j’ai une PAL dantesque sur ce thème !

Écrit par : Lou | 06/04/2018

Repéré sur plusieurs blogs. C’est la lecture que je voulais faire pour le mois du Japon. On verra si je mets la main dessus.

Écrit par : Karine | 08/04/2018

@ Karine : ma première lecture du mois et une très bonne surprise… j’espère qu’il te plaira également !

Écrit par : Lou | 23/04/2018

1 thought on “Sayaka Murata, Konbini

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