Ce soir en rentrant chez moi j’ai été lamentablement vaincue 3 à 0 par ma bibliothèque qui 1) s’est écrasée sur moi de toutes la force de sa PAL monstrueuse ; 2) m’a assené au passage trois bons coups sur la tête en mémoire des livres ouverts puis abandonnés précisément là où l’histoire est sans aucun doute potentiellement plus intéressante ; 3) m’a flanqué une belle baffe aller-retour avec les deux livres qui attendent leur petit moment de gloire depuis quelques jours.
Je le sais autant que vous, ces deux-là se font vraiment des illusions et risquent tout au plus de convaincre deux ou trois lecteurs par le biais de la scène que voici… mais, ne voulant pas risquer de me prendre un coup d’Harry Potter, Tome 7, 650 p sur la tête pour abandon et outrage à roman (avec circonstances aggravantes, je le crains), je vais faire de mon mieux pour mettre ce soir sous les feux de ma modeste rampe la dernière parution de Yoko Ogawa chez Babel. En espérant que la longueur du titre ne découragera pas définitivement les quelques téméraires qui sont encore en train de lire ces (quelques) lignes. Car il s’agit ni plus ni moins du récit au titre périlleux Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, suivi d’une nouvelle à l’air bien plus modeste, il faut l’avouer, Un thé qui ne refroidit pas.
(Je précise que, la paresse aidant, je viens de jeter un œil à mes mails non lus – plus de 1000, un record – jusqu’à ce que je tombe sur un mail en allemand auquel je dois maintenant répondre : mon niveau est tel que la perspective de cette note est bien plus clémente comparée aux deux paragraphes en allemand qui m’attendent et viendront, poussivement, certes, mais inéluctablement).
Rentrons enfin dans le vif du sujet !
Les histoires de ce petit livre paru pour la première fois en 1998 chez Actes Sud :
Dans Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, une jeune femme s’installe dans une petite maison et s’apprête à l’aménager avant de se marier. Un soir, un homme et son fils frappent à sa porte. « Vous ne souffrez pas de détresse ? » De cette question insolite naîtra une relation platonique, déconcertante entre l’héroïne et le père et son fils. Observant un réfectoire à l’heure du nettoyage, les deux adultes discuteront de l’étrange relation entre les réfectoires le soir et les piscines sous la pluie.
Dans Un Thé qui ne refroidit pas, l’héroïne retrouve un camarade de classe suite au décès brutal d’un troisième ancien élève (mort noyé dans sa voiture après un plongeon dans les eaux glacées du port). Les deux survivants décident de se revoir. S’enchaînent alors les visites au domicile de l’ancien camarade et de son épouse, incroyablement belle. D’où la fascination de l’héroïne qui se sent irrésistiblement attirée par l’harmonie et le bonheur tranquille qui règnent sans partage sur ce foyer.
Voilà deux histoires dans la veine d’Ogawa, avec ce style et cette élégance inimitables qui la caractérisent. Les deux textes sont eux-mêmes terriblement typiques de cet auteur : une narratrice à qui l’on pourrait donner entre 15 et 40 ans, des hommes fantomatiques (un futur mari qui apparaît au détour d’un paragraphe pour faire quelques travaux ; un compagnon irritant essentiellement présent par les notes qu’il laisse le soir sur une ardoise). Et des sujets bizarres accompagnant une histoire presque inexistante.
Est-il encore besoin de faire la critique d’un récit de Yoko Ogawa? Invariablement, les mots s’enchaînent avec une facilité navrante tant elle est prévisible.
L’écriture d’Ogawa est d’une subtilité désarmante, ses récits ont un charme désuet dont je ne me lasse pas. Il ne se passe souvent rien ou pas grand-chose. Encore une fois je savais à l’avance comment tout cela allait se terminer. Ou plutôt, « s’inachever » dans un dernier écho de pluie, un dernier souffle, un soupir. Rien de plus. Car Ogawa n’a pas besoin d’écrire des romans ou des nouvelles à l’histoire très structurée, avec un départ, un cheminement plus ou moins tortueux et une chute de rideau sans appel. Peu importe l’issue du récit, l’évolution des relations des uns et des autres. S’il y a mouvement, c’est dans l’incroyable poésie de l’écriture, le flot des mots qui s’égouttent tranquillement, bercent et forment peu à peu une palette de couleurs dont les pastels, les demi-tons et les non-dits font toute la beauté. Présentées avec beaucoup de simplicité, les histoires étranges, parfois malsaines de Yoko Ogawa acquièrent une certaine normalité, peut-être déconcertante, voire dérangeante.
Yoko Ogawa évoque pour moi la pluie s’écoulant avec régularité, suivant de ses grosses gouttes ma fenêtre embuée, dessinant des formes étranges devant les fleurs accrochées à une petite rambarde à la peinture écaillée. Etrange, beau, doux, triste, vivant, essentiel. Tel est son monde à mes yeux. Et si cette note ne rend pas justice à Ogawa, c’est sans doute parce que c’est un écrivain dont j’ai intériorisé l’univers depuis trop longtemps, avec toute sa fragilité et sa beauté douloureuse.
106 p
Commentaires
Courage aussi pour le millier de mails en retard (j’avoue que je me sens mieux du coup, je n’en ai que 80 :D).
J’espère que tes relations avec ta biblio redeviennent harmonieuses… Ogawa fait partie de mon challenge 2008 dédié à l’Asie. J’espère ne pas être déçue car j’ai un peu peur de la bizarrerie de cet auteur et en lisant ta note, je pense à Banana Yoshimoto dont je n’ai pu finir « Kitchen » :(( J’ai vraiment du mal avec les Japonais…
Écrit par : Flo | 21/09/2007
Les bibliothèques et leurs humeurs… dans ces cas-là je me dis toujours que nous ne faisons que prendre conscience du poids du savoir :).
Je partage complètement ton enthousiasme pour Yoko Ogawa! C’est un de mes auteurs préférés toutes catégories confondues. Je l’avais découverte il y a 5-6 ans avec « La piscine – Les abeiles – La grossesse » et j’y repense tout le temps. Une expérience esthétique très forte. Pour toi aussi apparemment.
Écrit par : Agnès | 21/09/2007
Écrit par : Florinette | 21/09/2007
et ne t’inquiètes pas, nous sommes nombreuses a avoir de difficiles relations avec nos bibliothèques… :o)
quant à l’allemand, ach, je te souhaite bon courage!
Écrit par : Choupynette | 21/09/2007
PS : désolée, ne compte pas sur moi pour l’allemand… ni sur les 1000 en retard, moi je les excluse au fur et à mesure, c’est moins décourageant ! Courage !
Écrit par : Tamara | 21/09/2007
fais attention à toi!! (je parle du mail en allemand, si t’as biblio t’as attaquée, c’est que tu l’as narguée! c’est bien connu, les bibliothèques sont très susceptibles et se multiplient comme des petits pains!
Écrit par : valeriane | 21/09/2007
@ Agnes : Merci de m’avoir proposé ton aide en allemand ! Figure-toi que je repousse toujours plus et me propose de répondre à ce mail demain 😛 Quant à Ogawa, c’est bien son esthétisme qui me fascine, même si mon premier coup de coeur était dû à l’étrangeté de ses histoires (1ère découverte avec « Le Musée du Silence »).
@ Florinette : je songe actuellement à mettre en place un système hautement sadique où mes livres seront enchaînés au mur et ne pourront plus me nuire. Et oui, je résisterai à leurs lamentations pitoyables ;o)
@ Choupynette : je serais curieuse de savoir ce que tu as lu, car j’ai envie de découvrir d’autres auteurs japonais, au risque de me brûler les ailes (car on ne sait jamais à quoi s’attendre avec ceux-là;o))
@ Tamara : c’est tout à fait dans le style de « la Petite Pièce Hexagonale »… j’apporterai un Ogawa au prochain dîner Livres-Echanges ou à un dîner entre blogueuses, histoire de faire découvrir cet univers dont je ne me lasse pas !
@ Valeriane : entre le mail en allemand et la perversité de ma bibliothèque, ma longévité risque fort de ne pas atteindre des records :p
Écrit par : Lou | 22/09/2007
– Paupières
– La Bénédiction Inattendue.
Mon article ici :
http://entremotsetvous.over-blog.net/article-6552597.html)
Son univers est particulier et j’ai remarqué un réel talent de description chez Yoko OGAWA, très observatrice.
Écrit par : Marianne | 22/09/2007
Écrit par : choupynette | 22/09/2007
Écrit par : anjelica | 22/09/2007
@ Choupynette : ah oui je serais curieuse d’en savoir plus… d’autant plus qu’aucun de ces livres ne me dit quelque chose !:o)
@ Anjelica : j’évolue dans un environnement malsain où les livres sont devenus étrangement pervers… 😛
Écrit par : Lou | 23/09/2007
De même que dans son dernier roman « La marche de Mina » que je viens jsute de finir…
Écrit par : Chelmi | 25/01/2008
Cela dit, même dans des récits plus courts où il s’agit plutôt de rencontres et de réflexions des personnages principaux, je considère l’histoire complexe et tout aussi fascinante. Il est indéniable que Yoko Ogawa imprègne ses récits d’une certaine lenteur mais cela ne les rend pas ennuyeux. Au contraire, ils en deviennent encore plus envoûtants. Enfin, c’est mon humble avis… quoi qu’il en soit c’est vraiment un des mes auteurs favoris et l’origine de mon intérêt naissant pour le Japon et sa littérature.
Figure-toi que je n’avais même pas vu « La marche de Mina ». J’ai tellement de livres en attente…:o) Mais je le lirai, sans aucun doute !
Écrit par : Lou | 26/01/2008
Écrit par : wictoria | 18/02/2009
Écrit par : Lou | 19/02/2009
Écrit par : Naïk | 26/02/2009
Écrit par : Lou | 26/02/2009
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